De charmantes jeunes femmes américaines manifestent contre Roe. Elles ne sont pas Belzébuth, elles sont des jeunes femmes qui ont des opinions divergentes des miennes. J’aimerais comprendre leurs motivations, écouter d’abord, déconstruire leur idéologie, argumenter, puis les convaincre, tout d’abord qu’avorter n’est pas vraiment une partie de plaisir et surtout que l’interruption volontaire de grossesse ne concerne que soi-même, au cas par cas, et qu’il ne s’agit pas d’avorter le monde entier…
J’ai quant à moi vécu quatre grossesses et un avortement et je sais que de vivre grossesses et avortements dans un environnement qui prend soin de nous est un privilège. Au Parlement suisse, je me suis engagée pour l’IVG, dans le cadre de la solution des délais. J’aimerais leur expliquer pourquoi j’ai choisi cette position, calmement, démocratiquement, avec un temps de parole mesuré. Sans colère mais avec conviction. Le parlement est peut-être obsolète, et peut-être nous faut-il trouver d’autres formes de débats entre individus et collectivités. Des débats, d’une manière ou d’une autre, ouverts et, une fois encore, sans colère.
En réalité, depuis la décision de la Cour suprême des États-Unis d’abolir le droit fédéral à l’avortement et de laisser chaque État décider pour lui-même, une folle colère gronde aux États-Unis. La colère semble être, d’ailleurs, le péché capital le plus à la mode de cette époque, la nôtre, dans laquelle fleurissent de multiples colères : colère écologique, colère sanitaire, colère politique, guerrière, sociale, féministe bien sûr… Dans le cadre des droits spécifiques des femmes, la colère crie, hurle, exclut parfois alors qu’elle veut inclure, absolument. Et si plutôt que de crier et de traiter les « autres » de débiles mentales, de meurtrières misogynes et autres épouvantails, nous parlions les unes avec les autres, toutes ensemble, sans exclusion, vraiment ?
L’un des problèmes principaux de la situation désormais en place est qu’elle crée un nouveau clivage de classe ou, mieux dit, une aggravation des clivages de classe déjà bien trop présents : les femmes aisées auront toujours la possibilité de voyager vers des états libéraux en matière d’interruption de grossesse et de bénéficier d’une IVG dans des conditions décentes et respectueuses de leur santé ; les femmes de milieux sociaux défavorisés ne le pourront pas et auront comme depuis la nuit des temps recours à des pratiques non éloignées d’une torture auto-infligée avec toutes les conséquences que l’on ne connaît que trop. J’aimerais leur expliquer comment fonctionne une aiguille à tricoter, plutôt que de brandir des bannières recouvertes de cintres ensanglantés. J’aimerais leur dire, statistiques à l’appui, qui a recours à l’IVG, pourquoi, quelles sont les suites… Roe n’a pas vu d’augmentation des IVG. Mais elle a vu des femmes pouvoir choisir aussi sereinement que possible ce qu’elles avaient décidé pour leur propre corps, pour leur propre vie, tout en tenant compte de la non-vie d’un embryon non-désiré. La décision d’avorter est par principe individuelle et intime. Les avortements de masse n’ont lieu que dans des contextes politiques totalitaires visant à décimer certaines populations.
J’aimerais aussi écouter les arguments spirituels des femmes qui soutiennent l’abolition de Roe, si tant est qu’elle elles en soient animées. Peut-être estiment-elles que la vie est sacrée, que chaque conception, chaque grossesse est un miracle de la vie et que, la vie étant notre bien le plus précieux, notre unique bien peut-être, qui nous est donné par la vie elle-même, nous devons tous et toutes chérir et cajoler ce bien et faire en sorte que la vie advienne, quoi qu’il en coûte.
Quoiqu’il en coûte et quoiqu’il en soit, il ne sera de solutions que négociées. La directrice générale des Nations unies à Genève, la russe Tatiana Valovaya, ne disait pas autre chose, lors de l’une de ses rares interviews, il y a quelques jours : « Je ne crois qu’aux solutions pacifiques ». Elle ne parlait pas d’avortement, mais des crises mondiales et de la difficulté d’être une diplomate russe après l’invasion de l’Ukraine. Ne nous faisons pas la guerre entre femmes. Nous avons mieux à faire. Roe reviendra. Comme le disait l’anthropologue Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde. » Conscientes, engagées, respectueuses des opinions des autres et, bien sûr, pacifiques. Et dans l’anticipation : Roe était menacé depuis longtemps.
Barbara Polla est médecin, galeriste et écrivain. Elle a quatre filles. Elle aime les femmes, les hommes et les autres, l’art et la poésie et la vie. En politique, en art, pour les femmes, elle s’engage pour la liberté.
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