Depuis 2017 et l’explosion de #MeToo, les femmes ont pris conscience que l’agrégation de leurs expériences les rendaient plus visibles. Le mot sororité a envahi l’espace public et s’est imposé comme une réalité incontournable. Mais comment concevoir, dans un même tableau, la dynamique réjouissante qui unit les femmes dans le combat pour l’égalité et les coups bas portés contre celles qui réussissent, qui sont plus jeunes ou plus belles ?
Une étude* nous apprend qu’une majorité de femmes, même celles en position de management, sont plus susceptibles de vouloir un patron homme plutôt que femme : « 63 % des femmes ont exprimé une préférence pour un patron homme, contre 52% des hommes ». Les patronnes sont perçues comme « émotives », « méchantes » ou « garces ». En intériorisant une pensée misogyne, nous avons fait des attributs de pouvoir chez une femme (l’apparence, la réussite professionnelle ou privée) une source de dénigrement, au lieu de l’envisager comme un modèle à suivre.
Ces chiffres interrogent. La rivalité féminine est bien une réalité et elle relève d’un tabou. Un tabou que viennent confirmer la honte et la culpabilité : comment avouer que l’on est jalouse d’une autre femme ? Parce que la rivalité s’insinue dans tous les domaines : dans le travail, mais également entre amies, entre sœurs, entre mère et fille, belle-mère et belle-fille.
La rivalité est la concurrence de personnes qui prétendent aux mêmes avantages, aux mêmes succès. Si les hommes ont appris à gérer la rivalité, si la compétition leur paraît naturelle, saine, il en va autrement pour les femmes. Élevées dans la douceur, elles ont longtemps été privées de colère, voire d’ambition. Pendant longtemps, on ne supportait pas que les femmes s’épanouissent dans la rivalité mais dans la maternité. Ainsi, quand le goût du pouvoir leur vient, elles répugnent encore à l’assumer. Les femmes n’ont pas appris à exprimer ce qui se joue dans la compétition, leur jalousie, leur envie (émotions pourtant humaines). Elles ont donc recours à l’agressivité indirecte : ostracisme, rumeurs, ragots, autant d’armes redoutables.
Il est essentiel de poser le problème avec ses inconnues pour résoudre l’équation de la rivalité féminine. Pour comprendre son caractère délétère et les mécanismes à l’œuvre derrière nos façons de « bitcher ». Essentiel également de faire un petit mea culpa et de creuser la question. Les raisons de cette rivalité sont multiples et parfois inconscientes. Cela vient de notre histoire, des attentes socioculturelles, des clichés sexistes intériorisés, de notre manque de confiance (on projette sur l’autre nos propres failles), des conflits non réglés avec notre mère. Le terreau fertile ? La beauté, la minceur, la jeunesse, cette trilogie idéale valorisée par les hommes que nous reprenons à notre compte.
Mais si le regard biaisé nous vient de critères masculins, la perpétuation de ces clichés est notre responsabilité. Dont acte.
Prendre conscience de nos comportements est la première étape pour les changer. Il nous faudrait également sortir du poison de la comparaison, accentué par les réseaux sociaux. Il nous faudrait cesser de penser qu’il est plus simple de se ranger du côté du plus fort, donc des hommes, quitte à sacrifier les autres femmes. Apprendre à déplaire un peu aux hommes et à être davantage dans la sororité, une sororité réelle, pas fantasmée, un état d’esprit où l’on se réjouit sincèrement pour l’autre femme, où l’on n’a pas peur que son succès nous menace et nous prive de notre part du gâteau. C’est un cheminement et une éducation qui, heureusement, commencent à voir le jour.
Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot, En finir avec la rivalité féminine, Les Arènes.
*UCLA, 2011
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