Cette édition de Women Today parle de femmes – what else ? – de culture et de désir. La culture et le désir sont liés par la création. La création artistique, qui fait culture ; le désir de créer, qui fait vie.
Les artistes, les créatrices, vivent un moment passionnant. La libération de la parole et le bannissement de la soumission ouvrent de nouvelles fenêtres aux artistes d’aujourd’hui. L’avènement de l’art écologique, qui a précédé la notion de l’urgence absolue de l’anthropocène, voit les créations longtemps oubliées ou ignorées de cohortes entières de femmes artistes bénéficier enfin d’une certaine visibilité, d’une reconnaissance. La libération de la parole eut tôt fait d’être suivie de la libération des images. Des images, des créations artistiques, qui reflètent souvent, aujourd’hui comme hier, un amour sensuel pour la terre et la nature tout entière. Des œuvres qui témoignent d’une conscience écologique aiguë et du désir de « faire chair » avec la nature. Un désir physique, mental et créatif, qui lie pour toujours nature et culture, si souvent mises en opposition par des siècles d’une philosophie de la raison.
Céline Cadaureille, plasticienne féministe qui vit et travaille à Saint Etienne avec son conjoint et sa fille, est une représentante, parmi tant d’autres, de cette mouvance. Inspirée par le Manifeste d’Ecosexe d’Annie Sprinkle (https://theecosexuals.ucsc.edu/ecosexualmanifesto/), Céline Cadaureille sculpte ses désirs : « s’oublier dans l’ombre fraîche, humide des sous-bois et ainsi s’enfoncer dans un espace autre ; s’enfoncer dans une forêt, la respirer, la prendre en soi et se confondre avec elle. Pouvoir se fondre dans la matière et transmuter : devenir la branche du frêne, le bois du chevreuil et ainsi toucher l’autre. Et oui, faire chair avec la nature… » L’artiste prélève en forêt des « vulves d’arbres », des branches et des cornes qui deviennent, entre les mains de la sculptrice, des traversées, des interpénétrations de différentes matières. Entre les mains de l’artiste – entre les mains des artistes – le désir de nature fait œuvre et l’œuvre fait culture, dans le même geste créatif.
Pour la peintre belge Aurélie Gravas, le désir le plus puissant qui l’anime est celui de voir émerger du néant. des images – et des sons, la plasticienne est aussi musicienne et chanteuse. « Pourquoi de l’art plutôt que rien ? » demandait l’historien de l’art Raphaël Cuir. Parce que, répond l’artiste : « J’aime faire naître des choses : si je ne crées pas cette toile, elle n’existera pas. » Le désir de créer se fond dans le désir de voir – comme le désir d’écrire dans celui de lire, le désir de chanter dans celui d’écouter… « Le désir et le plaisir féminins, poursuit Aurélie Gravas, mon désir et mon plaisir, se nourrissent de surprises, de rencontres inattendues, d’inconnu, de mise en danger. Il n’y a plus le nord et le sud, il n’y a plus de sens de la gravité. Je tourne le dos au monde et regarde le grand large. Alors me revient mon monde, dans ma peinture. »
Ces deux jeunes femmes artistes illustrent parfaitement, chacune avec sa palette d’émotions et les moyens techniques spécifiques qu’elles mettent en œuvre, ce que j’ai appelé (dans Le Nouveau féminisme, Odile Jacob 2019), « le féminisme d’artistes ». C’est volontairement que je parle de féminisme d’artiste et non de féminisme artistique, car le féminisme lié à l’art est essentiellement le fait d’artistes singulières, engagées certes comme féministes mais avant tout comme artistes. Tout à la fois artistes et féministes, elles créent toujours dans un geste féministe, même si elles ne le revendiquent pas, car pour la créatrice, l’acte de création est un geste puissant d’affirmation de soi, un geste d’ouverture, un geste féministe donc, et humaniste. Nous, femmes, sommes des amantes de la nature et des créatrices de mondes.
Les fenêtres de la création relient nos désirs au monde de la culture.
Barbara Polla est médecin, galeriste et écrivain. Elle a quatre filles. Elle aime les femmes, les hommes et les autres, l’art et la poésie et la vie. En politique, en art, pour les femmes, elle s’engage pour la liberté.
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© Aurélie GravasFemme à la fenêtre, 2018, Papiers et toile découpées aimantées sur une plaque de métal noir.
© Céline Cadaureille Je suis la forêt que tu pénètres, 2022, Grès, bois, corne et bronze