Entretien avec Sylvie Pierre-Brossolette : « Le 1er baromètre HCE du sexisme en 2022 révèle les raisons de sa persistance malgré une forte volonté des Français.es de le combattre »

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Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, Sylvie Pierre-Brossolette a été membre du cabinet de Françoise Giroud, première secrétaire d’État à la Condition féminine et journaliste pendant trente-cinq ans. Successivement rédactrice en chef adjointe à l’Express, rédactrice en chef au Figaro Magazine et directrice adjointe au Point, elle a également participé à plusieurs émissions de radio et de télévision. 

Elle a présidé, pendant six ans, le groupe de travail « droits des femmes » au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Membre du Haut Conseil à l’égalité, elle a présidé la commission « Lutte contre les stéréotypes et les rôles sociaux ». Elle est également membre de la Fondation des femmes et a dirigé la Cité Audacieuse depuis sa création. 

WomenToday

Bonjour Sylvie Pierre-Brossolette. En janvier dernier vous avez pris les rênes du Haut Conseil à l’Égalité qui a été « renouvelé et renforcé » puisqu’il englobe désormais de nouvelles prérogatives.

Comment abordez-vous vos nouvelles fonctions et quel est le nouveau spectre de vos responsabilités ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Le HCE a évolué puisque s’est joint au HCE originel le Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle dans un souci d’efficacité et de renforcement de l’institution. C’est évidemment un apport pour chacune des formations que de pouvoir travailler côte à côte et ensemble.

De nouveaux ponts pourront être établis entre la formation « défense des droits des femmes » et formation « égalité professionnelle ». Beaucoup de sujets peuvent se recouper tels que la parité, les violences, la santé, l’organisation internationale… Et donc mon objectif est de pouvoir faire travailler ensemble ces deux parties prenantes, l’une étant plutôt spécialisée dans l’égalité professionnelle, l’autre étant centrée sur les droits des femmes. Le HCE peut s’auto saisir ou être saisi par le gouvernement. La formation égalité professionnelle l’est automatiquement, par les pouvoirs publics, au sujet des nouvelles lois ou nouveaux règlements qui concernent le travail des femmes.

C’est un nouveau départ pour le HCE « augmenté » et je suis très fière de pouvoir présider à ce nouvel élan.

WomenToday

Vous venez de publier le Rapport annuel 2021 sur l’état du sexisme en France. Rapport qui vient d’évoluer en un baromètre du sexisme. Pourquoi cette mutation et quels en sont les objectifs ?

Sylvie Pierre-Brossolette

C’est un rapport que nous devons remettre au Premier ministre chaque année dans lequel nous demandions le financement d’une étude sur l’état du sexisme. Nous l’avons enfin et ce premier baromètre est paru le 7 mars.

C’est très important car il permet de mesurer l’état des lieux et de voir quels sont les éventuels progrès ou régressions du sexisme. Ce baromètre nous aide à recommander des décisions, à insister sur les politiques prioritaires à mener.

Il nourrira chaque année notre rapport remis au Premier ministre qui reprendra comme d’habitude les éléments d’actualité des années précédentes, l’évolution des textes ou des événements.


Cette année, notre premier baromètre est plein d’enseignements utiles. J’espère que les pouvoirs publics en tiendront compte et appliqueront les propositions formulées.

WomenToday

Ce rapport comprend un certain nombre de chiffres accablants. Par exemple 78% des femmes ont vécu personnellement un acte sexiste ou ont été destinataires de propos sexistes. Et pourtant les Français.es ne se sentent majoritairement pas informé.es sur les lois et sanctions existantes ainsi que l’absence de clarté et de précision dans la définition du sexisme et ce qu’il recouvre. A qui la faute et comment y remédier ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Il est évidemment nécessaire d’insister sur la pédagogie, la pédagogie et encore la pédagogie. Compte tenu des résultats de notre rapport, il est impératif d’investir dans l’éducation et notamment au sein de l’Éducation nationale.

Depuis le plus jeune âge jusqu’à la fin de lycée, il faut une instruction du comportement, un enseignement du respect, du consentement, des droits et des devoirs…

Pour l’instant seules trois séances, qui ne sont pas toujours dispensées, par an et par classe sont prévues. C’est à l’école que les choses doivent se faire car le dialogue avec les parents peut être parfois gênant, difficile. Et c’est dans le cadre de cet enseignement que des cours spécifiques, adaptés à chaque classe d’âge doivent être dispensés.

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Autre fait marquant, sur le plan économique, les inégalités et discriminations subies par les femmes se sont amplifiées. Inquiétude supplémentaire, les écarts salariaux continuent de se creuser, le télétravail renforce ces tendances et risque de renforcer l’éloignement des femmes de l’emploi. Ce constat n’est guère rassurant ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Bien sûr et il suffit de regarder les résultats de l’index Pénicaud qui n’est pourtant pas très contraignant pour les entreprises avec des résultats qui peuvent se compenser les uns les autres. Toutes les entreprises n’ont pas de très bonnes notes, certaines sont d’ores et déjà sanctionnables et il persiste encore d’énormes problèmes d’inégalités.

Ainsi nous proposons au HCE de passer à une étape plus contraignante en institutionnalisant l’éga-conditionnalité car la plupart des entreprises ont besoin de l’État que ce soit pour les finances publiques ou toutes sortes d’autorisations administratives. Beaucoup d’entreprises, à un moment donné, ont besoin soit de financement public ou de réglementation publique et je propose que pas une seule fois, on n’accorde quoique ce soit sans qu’il y ait une contrepartie en matière d’égalité femmes – hommes en termes de salaire, de lutte contre les violences, de promotions…

Tous les problèmes constatés doivent être corrigés et malheureusement sans le « bâton », il n’y a pas d’efficacité. En ce moment les milliards volent dans beaucoup de secteurs et c’est l’occasion ou jamais d’exiger une contrepartie pour les femmes.

WomenToday

Le sexisme prospère toujours en entreprise : selon le Baromètre Sexisme, près de la moitié des Françaises (46 %) ont déjà été victimes d’actes ou de propos sexistes au travail. C’est la double peine : inégalités salariales et violences sexistes. Les entreprises portent elles une part de responsabilité et aussi une part de la solution ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Bien entendu et beaucoup d’entreprises installent des référents égalité, des référents harcèlement, etc. Cela marche plus ou moins bien car certaines femmes hésitent à se manifester auprès d’une personne référente de leur entreprise. Je pense que parmi la panoplie de solutions, il pourrait y avoir des organisations extérieures auprès desquelles on pourrait aller se plaindre.

On peut exiger beaucoup plus de dispositions de la part des entreprises justement dans le cadre de l’éga-conditionnalité et les sanctions doivent être plus fortes. Il y a toute une gamme de mesures qu’elles peuvent prendre pour mettre fin effectivement à cette double peine.

Je me répète mais je pense qu’une des meilleures possibilités à exploiter est l’éga-conditionnalité surtout en ce moment où beaucoup d’entreprises toquent à la porte de l’État.

WomenToday

Vous mettez également en exergue deux éléments préoccupants : une hausse de près d’un tiers des violences sexuelles d’une part et une défiance face à une certaine impunité d’autre part. La justice serait-elle inadaptée ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Il existe deux problèmes. Il y a effectivement des lois qui peuvent être insuffisantes malgré un arsenal existant important mais il y a surtout la façon de les appliquer qui paraît, aux yeux de beaucoup de monde, insuffisante. De plus en plus d’hommes sont dénoncés, pointés du doigt et on a le sentiment qu’ils restent impunis. Soit à cause de la prescription ou d’un manque de preuves, la justice semble impuissante à punir ces crimes, viols, agressions ou dérapages.

Il en résulte une frustration de la population française qui entend parler de féminicides et d’agressions sexuelles relayées par la télévision et les médias, qui effectuent bien leur travail. C’est d’ailleurs tout d’un coup un sujet qui existe alors que les féminicides existaient avant que la télévision ne s’en empare mais pas grand monde ne le savait… Maintenant tout le monde le sait et simplement on ne distingue pas encore très bien quelles sont les sanctions infligées.

Il faut donc progresser sur la manière dont la justice doit fonctionner, avec des délais plus rapides, des chambres spécialisées, des sanctions plus fortes et des délais de prescription plus courts. Ce dernier point a été acté mais il n’est pas rétroactif. Donc durant des années encore, nous aurons des affaires qui remontent à 20 ans et qui ne seront pas traitées correctement eu égard au délai de prescription…

Il faut continuer à expliquer et à mieux former les juges et les policiers pour que toutes les plaintes et témoignages soient mieux pris en compte et que cela débouche plus souvent sur des sanctions fortes. L’arsenal qui a été voté (bracelet anti-rapprochement, téléphone grave danger, mesures de protection…) doit impérativement être beaucoup plus répandu car il est, pour l’instant, trop peu utilisé par la justice. Figurez-vous que pour le bracelet anti-rapprochement il est encore nécessaire d’avoir l’accord de l’homme supposé en être muni !

WomenToday

Selon vous pourquoi les hommes peinent à reconnaître une responsabilité collective (69% d’entre eux pensent qu’on généralise en considérant que tous les hommes sont sexistes) ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Effectivement ils n’aiment pas être pointés du doigt et ils ont l’impression qu’ils sont presque agressés. Ils ne comprennent pas que lorsqu’on est insistant avec une femme, c’est du sexisme, c’est une agression. 16% d’hommes pensent qu’une femme agressée sexuellement est partiellement responsable de la situation. C’est pour cette raison que j’insiste tellement sur l’éducation. Si dès le plus jeune âge les petits garçons apprennent le respect, alors peut être les hommes seront plus corrects aujourd’hui.

On apprend que parmi les femmes, 26% des 25-34 ans subissent l’insistance d’un conjoint pour obtenir un acte sexuel, ce n’est ni normal, ni tolérable. C’est une génération qui doit être plus respectueuse et elle l’est pourtant moins que la génération précédente.

WomenToday

Autre facteur d’inquiétude, l’exclusion prévisible des femmes des métiers d’avenir alors qu’on estime à plus de 50% la part de ces professions en 2030. Les dés sont-ils jetés ?

Sylvie Pierre-Brossolette

On essaye de corriger le tir. Même Monsieur Blanquer a rectifié sa réforme du Bac car cette dernière éloignait encore davantage les femmes des mathématiques. Nous plaidons aussi pour une orientation dès le collège afin d’encourager les filles à choisir des filières avec des emplois d’avenir.

Nous voulons par ailleurs une revalorisation des métiers du care occupés très majoritairement par des femmes. Nous ne demandons pas seulement à travail égal, salaire égal, mais un travail de valeur égale, à salaire égal. La valeur de ces métiers est évidemment très précieuse. Nous devons donc opérer un double mouvement : revaloriser les métiers dits féminins et encourager par l’orientation et la formation un maximum de Françaises à aller vers les métiers d’avenir mieux payés.

WomenToday

Votre terrible constat : un manque d’éducation à l’égalité chez les jeunes générations, une persistance des stéréotypes et de la culture du viol qui dominent chez les jeunes, une génération sensibilisée mais insuffisamment informée et éduquée.

Votre baromètre reflète-t-il un constat d’échec ? Quelles préconisations urgentes à mettre en place ?

Sylvie Pierre-Brossolette

Je pense que nous assistons à un double mouvement. Primo, il y a indéniablement un progrès dans la prise de conscience chez les jeunes avec toute une population qui adhère à MeToo, qui veut lutter contre le sexisme, et qui constate unanimement que les femmes et les hommes ne sont toujours pas égaux en pratique. Mais secundo, il y a encore beaucoup trop de pratiques sexistes malgré cette prise de conscience.

Mais parmi tous ces chiffres un peu décourageants, nous pouvons distinguer une lueur d’espoir : seulement 8% (dont 12% des hommes) considèrent que les hommes sont mieux armés pour être patrons que les femmes. Il existe donc bel et bien un consensus à propos des femmes dirigeantes et cheffes d’entreprises !

Propos recueillis par Michael John Dolan

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Crédit Photo FranceTVinfo Christophe Morin MAXPP (screenshot)

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