Entretien avec Patricia Chapelotte « L’égalité femmes-hommes est un sujet fédérateur »

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Bonjour Patricia Chapelotte, votre engagement de femme est notoire mais comment est-il survenu ? Pensez-vous comme Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme : on le devient » ?

Patricia Chapelotte

Je me suis rendue à la deuxième édition du Womens Forum créé par Aude de Thuin et cela a été un déclic pour moi. J’ai trouvé l’idée géniale. Il manquait clairement un événement qui valorisait la place des femmes dans des mondes très masculins tels que le monde politique, ou économique…

Je suis née femme mais je ne suis pas née féministe. Ce serait mentir de dire que les inégalités entre les femmes et les hommes m’aient sauté aux yeux dès ma plus tendre enfance. Ma mère était femme au foyer et j’ai toujours considéré que c’était normal. J’ai compris plus tard qu’elle était bloquée dans une vie qui ne lui plaisait pas car elle dépendait financièrement d’un homme. Elle m’a d’ailleurs souvent répété « travaille à l’école, choisie un beau métier et ne dépends pas d’un homme ». J’ai compris que l’émancipation des femmes passait par une émancipation économique et cela a été ma ligne de conduite.

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Quelle fut votre première « expérimentation » d’inégalité ?

Patricia Chapelotte

Il y a eu deux moments dans ma vie professionnelle où j’ai compris qu’être femme n’était pas évident : j’ai dirigé la communication d’un groupe industriel à 30 ans et la manière dont me traitaient les commerciaux du secteur du bâtiment n’était pas toujours évidente. J’ai entendu nombre de blagues salaces avec pour objectif de me faire rougir et de me gêner.

J’ai vécu une autre expérience au Sénat. J’étais la seule femme au sein de la réunion hebdomadaire du groupe parlementaire auquel j’appartenais.  Et un jour, à l’occasion d’une discussion sur la position du groupe sur un projet de loi sur le harcèlement, un sénateur m’a pris le bras en me disant : « excusez-moi ma bonne amie, mais si vous vous faites mettre la « main au panier », c’est que souvent vous l’avez bien cherché ». Tétanisée et surprise, je n’ai pas bougé, c’était un homme trop puissant. En plus du sexisme et du harcèlement au travail, je sentais que ma parole valait moins que celles des hommes importants qui m’entouraient et je n’ai rien osais dire par peur de me faire virer.

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La présence de femmes à tous les échelons d’une organisation n’est pas seulement un enjeu d’égalité, d’attractivité mais aussi un enjeu de performance et un levier de croissance (Étude réalisée par McKinsey). Avant d’évoquer la mise en application des lois récentes, comment expliquez-vous cet obscurantisme au sein des entreprises ? La coercivité est-elle donc la seule solution ?

Patricia Chapelotte

Vous avez raison de dire que l’égalité est avant tout un enjeu de performance et d’efficacité.  Si on veut une société efficace mais aussi plus harmonieuse il faut qu’il y ait un équilibre entre le féminin et le masculin. Certaines études vont même jusqu’à dire que des entreprises dirigées par des femmes sont plus performantes.

La politique de quota qui a été instaurée dans la vie politique a créé ce que l’on appelle de la « discrimination positive ». Elle a permis aux femmes de s’imposer dans des milieux où elles étaient sous-représentées voire carrément absentes. Cela a pris de beaucoup de temps mais par exemple aujourd’hui nous avons près de 40 % de députées à l’Assemblée nationale contre 6 % sous l’ère Mitterrand, 12 % sous Chirac et 18 % du temps de Nicolas Sarkozy.  

Pendant très longtemps et encore aujourd’hui, les postes de pouvoir dans les entreprises ont été largement occupés par des hommes qui se sont cooptés depuis des siècles. Il est difficile de lutter contre un héritage patriarcal instauré depuis tant d’années. Je suis pour toutes les règles et lois qui permettent l’accessibilité aux postes de pouvoir par les femmes. Malheureusement il n’y a que comme cela que ça peut marcher pour le moment.

Mais il faut aussi que nous balayons, nous les femmes, devant notre porte car encore aujourd’hui, beaucoup de femmes refusent des promotions ou des postes à responsabilité par crainte de ne pas être à la hauteur. Les femmes doivent prendre leur place et se défaire de leur syndrome de l’imposteur que connaissent bien moins les hommes.

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Globalement, tous temps de travail confondus, les femmes touchent 28,5 % de moins que les hommes (source Observatoire des inégalités, mars 2022). L’index Pénicaud permet de mesurer les inégalités salariales au sein des entreprises d’au moins 50 salariés et vise à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. Les sanctions sont-elles nécessaires et suffisantes ?

Patricia Chapelotte

L’index créé par Muriel Pénicaud en 2019 est une réelle avancée dans le monde de l’entreprise. Chaque année, les entreprises doivent publier de manière visible sur le site de l’entreprise, les résultats obtenus au plus tard le 1er mars. Si les critères de calcul ne sont pas remplis, les entreprises doivent prendre des mesures correctrices dans les trois ans sous peine d’une pénalité financière.

Mais cet index a une autre vertu. La politique salariale est un vrai enjeu d’image pour les entreprises surtout dans la cadre de la quête des talents.  Afficher une égalité de salaires entre les femmes et les hommes est très importante pour la marque employeur. Le sujet de l’égalité salariale touche à la réputation de l’entreprise. Et c’est important, la nouvelle génération est beaucoup plus attentive que les générations précédentes à ce qu’une femme puisse gagner autant qu’un homme. D’ailleurs il faut noter que l’égalité femme homme sous toutes ses formes fait partie des engagements RSE que revendiquent les entreprises.

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Christine Lagarde a l’habitude de dire « Aves les quotas les entreprises trouvent des femmes, sans quotas elles se trouvent des excuses ». La loi Rixain devient ainsi indispensable. Les enjeux de féminisation et de parité incitent à une sorte de réinvention d’un certain nombre de codes et d’usage au bénéfice de toutes et de tous. Les dirigeants sont-ils préparés et / ou désireux de franchir le pas ?

Patricia Chapelotte

Je salue le travail de la députée Marie Pierre Rixain auteure de la loi de décembre 2021 qui va plus loin que la loi Copé-Zimmermann. Elle oblige les entreprises de plus de 1000 salariés à avoir 30 % de cadres dirigeantes dans les 5 ans et 40 % dans les 8 ans. La loi Copé-Zimmermann a déjà changé les mentalités des dirigeants. J’ose imaginer que les dirigeants ont compris qu’on allait leur demander d’aller toujours plus loin et qu’il va falloir mettre plus de femmes aux postes opérationnels.

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Selon Sarah Saint-Michel, « Le pouvoir est associé implicitement aux hommes et aux stéréotypes masculins de pouvoir et de domination » et il en résulte le phénomène de la falaise de glace. Une Loi peut-elle influer sur ces stéréotypes de genre ?

Patricia Chapelotte

Une loi ne change pas tout, elle accompagne un changement et oblige peut-être à aller plus vite car elle crée le débat. Pour développer leur leadership, les femmes doivent être plus visibles à tous les niveaux de la société, elles doivent prendre la parole en public, être sur les plateaux de télévision, s’exprimer à des tables rondes comme expertes. Il n’y a pas assez de femmes expertes visibles. Pendant la crise du Covid, c’était flagrant, les experts dans les médias étaient majoritairement des hommes. Il faut faire bouger les lignes si on veut casser les codes d’un leadership trop masculin.  

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Des « bastions virilistes », un « creuset du sexisme ». Voilà comment le Haut Conseil à l’égalité (HCE) qualifiait les grandes écoles, perçues comme des portes d’entrée vers le sexisme en entreprise. L’éducation se révèle être, même dans les grandes écoles, perfectible ou parfois déficiente. L’éducation n’est-elle pas la clef de voute ?

Patricia Chapelotte

Pendant des siècles les jeunes filles ne recevaient pas la même éducation que celles des garçons. Et les grandes écoles, comme polytechnique, ont été très longtemps interdites aux femmes. Aujourd’hui encore il y a une suprématie masculine dans certaines écoles prestigieuses notamment dans les écoles d’ingénieurs. Cela doit changer si on veut que les femmes accèdent au pouvoir. Si on doit en tant que femmes obtenir les mêmes diplômes que les hommes pour progresser, il faut aussi qu’elles acceptent qu’être une femme de pouvoir c’est respectable voire souhaitable, ce qui n’est pas si évident pour certaines d’entre nous. Des études montrent qu’elles n’aiment pas les jeux de pouvoir et qu’elles accordent une plus grande importance à la légitimité. Je suis persuadée que les femmes ont une approche différente dans l’exercice du pouvoir.

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Faisons une parenthèse politique qui reste un univers souvent violent que vous côtoyez. Selon vous, Elisabeth Borne parvient elle à surmonter le « syndrome Édith Cresson » ?

Patricia Chapelotte

Le contexte n’est pas du tout le même qu’à l’époque d’Edith Cresson qui est arrivé en « fin de règne » de François Mitterrand, 10 ans après son arrivée au pouvoir. Le sexisme ambiant de l’époque était plus violent. Elle a été insultée par l’opposition de l’époque, traitée de Pompadour. Elle a été attaquée sur son physique etc… On ne ferait plus cela aujourd’hui, les critiques sont plus subtiles. Pour autant, il reste toujours ce vieux réflexe qui consiste à mettre en cause systématiquement la compétence des femmes et si une femme s’énerve en politique, elle est toujours considérée comme une hystérique. Elisabeth Borne arrive en début de mandat avec un plus fort capital « légitimité » qu’Edith Cresson. Elle a vite réussi à s’imposer avec une feuille de route plus clair que celle de Cresson à l’époque. Borne est sauvée par les qualités de ses défauts. On dit que c’est une techno qui manque de sens de politique, mais la situation actuelle notamment en matière économique et énergétique montre que bien connaitre le fonctionnement de la machine d’état est très utile et d’ailleurs c’est le président Macron qui occupe le terrain politique.

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Le 21 novembre 2022, vous remettrez le prix des femmes d’influence pour mettre en lumière des modèles de réussite « non-traditionnels ». Existe-t-il un point commun à toutes ces femmes ?

Patricia Chapelotte

Ces femmes viennent d’univers très différents, politique, économiques, culturel sportif et associatif mais chacune porte des valeurs et des engagements qui les rassemblent. Elles portent des convictions et éclairent le débat pour une société plus positive et plus juste. Elles contribuent à donner des formes nouvelles au combat des femmes. Car nous voulons que les générations futures soient mises en avant.  C’est pour cela que nous avons créé le prix Espoir dont la lauréate est sélectionnée par un jury junior composé de jeunes femmes de 18 à 35 ans. 

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Et comment mettre en lumière ces autres femmes qui portent la France à bout de bras. Ces femmes invisibilisées qui réparent, conseillent, soignent et représentent un quart des travailleuses féminines de la France qui sont souvent dans la précarité ?

Patricia Chapelotte

En 2020 nous étions encore en plein Covid et nous avons décidé de récompenser des femmes qui s’étaient illustrées dans leurs métiers ou par leurs engagements à soutenir la population pendant cette période difficile pour beaucoup de français. Nous avons mis par exemple à l’honneur une femme vivant en Haute Savoie qui était agricultrice le jour et infirmière urgentiste la nuit, ou encore une infirmière d’un Ephad de Mayenne avec plusieurs autres femmes de l’établissement qui ont dormi dans un camion aménagé, utilisé pour les 24 h du Mans,  pour éviter de contaminer ses patients et ses proches. Ces femmes ont porté la France à bout de bras sans paillettes ni médias, c’était important pour moi qu’elles soient dans la lumière.    

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Le conseil que vous donneriez aux jeunes femmes et aux jeunes hommes ?

Patricia Chapelotte

J’ai envie de leur dire : choisissez tout !! Ne renoncez jamais même quand c’est difficile. Même si notre monde actuel traverse des crises, soyez optimistes, croyez en vos capacités de renouveler les modèles et de créer ! Et enfin ne vous laissez pas enfermer dans des stéréotypes, refusez d’être étiqueté, restez vous-même !

Propos recueillis par Michael John Dolan

Réagir, intervenir, suggérer ? Nous vous écoutons :   contact@womentoday.fr

Patricia Chapelotte, Directrice générale d’Hopscotch Décideurs, filiale d’Hopscotch, groupe
international de conseil en communication, Patricia Chapelotte a exercé de nombreuses années durant au cœur de la vie politique, notamment au Sénat et au ministère de la Justice. Créatrice du Prix de la Femme d’Influence, qui récompense depuis huit ans des femmes qui se sont illustrées par leur activité dans le milieu politique, économique, culturel ou associatif, elle est par ailleurs commandant de la réserve citoyenne auprès du Gouverneur Militaire de Paris.

Egalité femmes-hommes : une grande cause, et après ?

Le président Emmanuel Macron avait proclamé l’égalité femme/homme « grande cause » de son mandat. Cinq ans après, qu’en est-il ?
Où en sont nos concitoyennes, à quelques semaines du terme d’un quinquennat qui se voulait à ces égards si ambitieux ? Au-delà des intentions affichées, quelles améliorations concrètes de leur condition ? Quels progrès significatifs ?

Depuis plus d’un an, Women Today, (ex-Sarasvatî) et sa Lettre des femmes hebdomadaire explorent toutes les facettes du féminin et du féminisme. Donnent la parole à celles et à ceux qui misent sur la réflexion, plutôt que sur la division, pour éveiller les esprits, faire avancer la parité et reculer les inégalités.

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