Entretien avec Marie-Pierre Rixain : « Sans contrainte, la féminisation du pouvoir ne se fait pas »

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WomenToday :

Bonjour Madame la députée, avant d’aborder la loi qui porte votre nom, faisons un rapide retour en arrière avec la loi Copé-Zimmermann qui imposait 40% de femmes dans les conseils d’administration. Quel est le bilan aujourd’hui et peut-on délivrer un satisfecit concernant son application ?

Marie-Pierre Rixain :

Absolument. La loi Copé-Zimmermann a été un texte efficace puisqu’elle prévoyait, 10 ans après la promulgation, 40% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance en France, et nous sommes aujourd’hui à plus de 46%. Ce pourcentage fait de la France un champion du monde en la matière et prouve que les quotas ont été efficaces ! Ils sont aujourd’hui reconnus dans différents pays qui s’en inspirent comme en Italie, en Allemagne ou encore à l’échelle de l’Union européenne.

WomenToday :

Quel est aujourd’hui le pourcentage de femmes dans les instances de direction ? Comment expliquez-vous ce lourd déficit ?

Marie-Pierre Rixain :

Début 2021, avant l’écriture de la loi, on comptait 22% de femmes dans les instances de direction du SBF120. Cela dit,  j’ai constaté, au moment de l’élaboration du texte et avant même la promulgation de cette loi que les entreprises avaient déjà entamé le processus de féminisation de leurs instances dirigeantes et je m’en félicite.

Néanmoins, nous sommes encore loin d’atteindre des chiffres satisfaisants. La loi que j’ai portée n’est pas le même dispositif que la loi Copé-Zimmermann. Cette dernière concerne la féminisation des conseils d’administration et de surveillance, instances qui sont renouvelées régulièrement et dont les membres sont très souvent recrutés à l’extérieur de l’entreprise. Aussi, j’ai l’habitude dire que c’est « un escalier extérieur » tandis que les comités de direction, exécutifs ou autres sont des structures internes à l’entreprise. Ces sont des instances qui accompagnent la direction générale dans la direction opérationnelle et stratégique de l’entreprise. Ces instances sont généralement composées de peu de personnes, entre 5 et 12, qui sont des salariés de l’entreprise.

Le partage du pouvoir économique à l’intérieur de l’entreprise a encore du mal à parvenir jusqu’aux femmes. Elles parviennent jusqu’à un certain nombre de postes opérationnels et stratégiques dans l’entreprise mais pas jusqu’aux premières marches du podium qui leur permettraient d’avoir véritablement la main sur la direction de l’entreprise.  

WomenToday :

Avant d’aborder votre mesure phare, les quotas de femmes dans les instances de direction, quelles sont les autres volets de votre loi ?

Marie-Pierre Rixain :

On parle, en effet, beaucoup de l’article 14 qui concerne les quotas mais c’est une loi qui a vocation à faire des femmes des sujets économiques à part entière, à consacrer de nouveaux droits économiques pour les femmes et donc à leur permettre également d’être plus autonomes et indépendantes financièrement.

Ce texte oblige notamment à ce que le salaire ou les prestations sociales soient versés sur un compte dont la femme est titulaire. Un conjoint malveillant ne pourra plus capter les revenus de l’autre. La loi renforce également le droit au compte, à savoir le fait que la Banque de France impose à une banque l’ouverture d’un compte en cas de violences conjugales.

Le texte prévoit un certain nombre de dispositifs liés à l’enseignement supérieur et qui visent à féminiser les différentes filières. La loi prévoit la création d’un baromètre de l’égalité FH dans les établissements de l’enseignement supérieur et impose un quota de mixité dans les jurys d’admission.

Par ailleurs, la loi fait en sorte que les femmes puissent bénéficier de davantage de financements lorsqu’elles sont entrepreneures et qu’elles créent leur entreprise. Notamment en imposant des quotas de parité aux comités d’investissement de Bpifrance et un principe d’éga-conditionnalité : seules les entreprises qui respecteront l’index Pénicaud pourront bénéficier des financements de la part de Bpifrance. De même, il est demandé aux fonds d’investissement de la place d’avoir un objectif de progression pour atteindre la parité dans leurs comités d’investissement.

WomenToday :

Votre texte prévoit d’instaurer des quotas d’au moins 30 % de femmes dans les instances de direction (Comex et Codir) d’ici à 2027, puis de 40 % d’ici à 2030. Est-il donc nécessaire d’être coercitif afin d’atteindre la parité ?

Marie-Pierre Rixain :

Oui nous sommes obligés d’en passer par les quotas puisque la loi Copé-Zimmermann qui devait avoir un effet de ruissellement sur les instances dirigeantes n’a pas eu l’effet escompté. Christine Lagarde a l’habitude de dire « Aves les quotas les entreprises trouvent des femmes, sans quotas elles se trouvent des excuses ».  Sans contrainte, la féminisation du pouvoir ne se fait pas.

WomenToday :

Les femmes, à ce jour, occupent essentiellement des fonctions supports (juridique, finance, ressources humaines et communication). Ne pensez-vous pas que ces quotas ne feront qu’amplifier ce phénomène ?

Marie-Pierre Rixain :

Je n’en suis pas certaine mais en effet peut-être qu’au départ ce seront des fonctions support que l’on connaît tels que la communication ou les RH… Mais en parlant avec des femmes membres de comités exécutifs, j’ai compris que le fait d’intégrer une instance de direction leur a permis d’être, d’une part, parties prenantes de la stratégie de la direction de l’entreprise et, d’autre part, de développer leurs talents. Ce qui, ensuite, a donné un boost à leur carrière puisqu’on s’est mis à leur proposer des postes de direction.

WomenToday :

Le conseil d’administration est-il une instance dirigeante visée par ce texte ?

Marie-Pierre Rixain :

Non. La loi Copé-Zimmermann concerne les conseils d’administration et la loi que j’ai portée les instances dirigeantes. Dans les très grandes lignes, il s’agit de toutes instances qui encadrent et entourent la direction générale de l’entreprise. Sont également concernés par les quotas, un deuxième périmètre, qui sont les cadres dirigeants et qui ont vocation à siéger dans ces instances.

WomenToday :

La loi Rixain prévoit d’autres mesures notamment en matière d’éducation et de formation professionnelle pour lever l’ensemble des freins à l’égalité entre les femmes et les hommes. Quelles sont ces mesures ?

Marie-Pierre Rixain :

On en parlait précédemment : en matière d’éducation je souhaite qu’on développe un baromètre dans l’enseignement supérieur de manière à ce que les établissements planchent pour féminiser les filières. Il est également nécessaire de lutter réellement conte les violences sexistes et sexuelles de manière à ne pas détourner les jeunes femmes des secteurs à dominante masculine par exemple.

En matière de formation professionnelle, nous avons prévus que les femmes qui bénéficient de la PrEpaRE puissent également bénéficier d’une formation professionnelle quand bien même leur compte personnel de formation serait vide.

WomenToday :

Est-ce que les entreprises sont prêtes à remplir, sur le fond et sur la forme, les obligations de cette loi ?

Marie-Pierre Rixain :

Je crois que oui car les entreprises ont compris que dans un souci de réputation (aujourd’hui les actionnaires, notamment anglo-saxons regardent attentivement de type d’indicateur) elles ont intérêt à la faire. Et d’autre part les nombreuses données disponibles démontrent à quel point la féminisation des instances de direction est un gage de performance pour les entreprises et on peut facilement le comprendre.

Nous avons que certains secteurs d’activité sont en tension et démographiquement ces mêmes entreprises n’auront pas d’autres choix que de recruter des femmes. Or pour les inciter à rejoindre certains secteurs d’activité il faut aussi qu’elles aient potentiellement leurs places à la direction de ces entreprises. Par conséquent les entreprises ont tout intérêt aujourd’hui, soit en termes de réputation soit en termes de performance direct, de féminiser leurs instances de direction. Je ne doute pas qu’avant même les obligations légales, ces dernières le font déjà et le feront. Dès aujourd’hui, on voit un certain nombre de femmes accéder à des postes de direction et y compris dans entreprises du CAC40.

WomenToday :

Selon Sarah Saint-Michel, « Le pouvoir est associé implicitement aux hommes et aux stéréotypes masculins de pouvoir et de domination » et il en résulte le phénomène de la falaise de verre. Une Loi peut-elle influer sur ces stéréotypes de genre ?

Marie-Pierre Rixain :

La Loi vient accompagner un phénomène évidemment sociétal. Là où je vous rejoins c’est que traditionnellement à l’intérieur des entreprises mais aussi de la sphère politique, des associations, des syndicats… dès qu’un pouvoir s’exerce, il est régi par des règles de pouvoir qui avaient été établies et mises en place par des hommes pour des hommes.

Alors oui en effet, l’image du pouvoir doit évoluer, les codes vont nécessairement changer au bénéfice des femmes comme au bénéfice des hommes.

WomenToday :

Récemment Sylvie Pierre-Brossolette confiait à WomenToday « nous proposons, au HCE, de passer à une étape plus contraignante en institutionnalisant l’éga-conditionnalité…  Je propose que pas une seule fois, on n’accorde quoique ce soit sans qu’il y ait une contrepartie en matière d’égalité femmes – hommes en termes de salaire, de lutte contre les violences, de promotions. » Que pensez-vous de cette suggestion ?

Marie-Pierre Rixain :

J’y suis totalement favorable et d’ailleurs notre texte met en place des dispositifs d’éga-conditionnalité puisque je vous indiquais précédemment que notamment la BPI ne soutiendra que les entreprises qui respectent l’index de l’égalité professionnelle. On pourrait certainement aller plus loin mais nous sommes également contraints par des dispositions européennes. Je pense particulièrement dans le cadre des appels d’offres des marchés publics qui ne sont pas soumis à un index de parité.

Je peux aussi citer une initiative du ministère de la Culture qui n’octroie des financements publics, par exemple dans le secteur du cinéma, de la production audiovisuelle, uniquement aux structures qui ont suivies des formations en matière de lutte contre les VSS. Ainsi les financements publics sont soumis à un strict respect des conditions d’attribution.

WomenToday :

« Le vrai problème se situe dans les PME », soulignait un DRH. Le sujet de la non-mixité des instances dirigeantes est-il encore plus important dans les ETI et PME ?

Marie-Pierre Rixain :

Les ETI sont en partie concernées car je vous rappelle que le périmètre inclue les entreprises de plus de 1 000 salariés. Il faut être réaliste car ce texte a été adapté dans un contexte particulier, celui de l’après COVID, qui n’est pas simple pour les entreprises et notamment pour les plus petites d’entre elles. Malgré tout, elles sont en train de s’approprier et de mettre en place l’index de l’égalité professionnelle.

Alors peut-être en effet cette loi, au fur et à mesure du temps, sera progressivement adressée aux entreprises de plus petite taille. Mais je suis convaincue que ces entreprises, en raison du contexte économique et des difficultés de recrutement, savent qu’elles doivent faire un signe aux femmes et jeunes femmes. Aussi je ne doute pas qu’elles le feront avant même une obligation légale.

WomenToday :

Récemment Julia Mouzon confiait à WomenToday que 74% des femmes élues ont été confrontées à des remarques ou à des comportements sexistes. Non seulement ces comportements sont inacceptables mais ont-ils aussi pour effet d’éloigner les femmes des responsabilités d’élues ?

Marie-Pierre Rixain :

Oui comme ils éloignent également de certains secteurs d’activité lorsqu’on évoque les entreprises. Lorsqu’ils éloignent, pareillement, de fonctions représentatives dans n’importe quel secteur. En fait, à partir du moment où il y a moins de 30% de femmes dans une réunion, il y a des phénomènes de sexisme qui s’installent. Donc je ne doute pas que dans les sphères du pouvoir il puisse y en avoir et évidemment que le sexisme doit être combattu au même titre que le racisme ou l’antisémitisme.

Nous devons parler du sexisme car il a des conséquences très dommageables à la fois concernant la part des femmes dans les instances politiques et également sur un plan économique. Car évidemment lorsqu’une femme est victime de sexisme, voire de violences sexuelles, elle s’éloigne de son secteur professionnel pour se diriger vers une sphère où il y aura davantage de femmes et ainsi se sentira plus à l’aise.

Aujourd’hui il y a un travail à faire et je pense à l’école 42 conduite par Sophie Viger, spécialiste du codage et numérique qui est un secteur à dominante masculine, qui a fait de gros efforts de lutte contre le sexisme. Maintenant, les résultats sont là puisqu’aujourd’hui elle a 42 à 46% de femmes dans sons école alors qu’à son arrivée elles ne représentaient qu’à peine 20%.

WomenToday :

En guise de conclusion, quel message souhaitez-vous transmettre aux plus sceptiques concernant cette nouvelle obligation de parité ?

Marie-Pierre Rixain :

Les droits des femmes ne se sont pas construits en un jour. Aussi je souhaite leur dire que nous savons que les quotas sont efficaces. Nous le savons grâce notamment à l’historique concernant la Loi Copé-Zimmermann et je ne doute pas que, les uns et les autres, verront enfin les compétences des femmes. Rappelons que les femmes sont mieux et davantage formées que les hommes et il est ainsi nécessaire d’essayer de se transformer. Je comprends que les enjeux de féminisation et de parité incitent à une sorte de réinvention d’un certain nombre de codes et d’usage mais au bénéfice de toutes et de tous.

Propos recueillis par Michael John Dolan

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