Entretien avec Carole Delga : « La lutte pour l’égalité doit aussi associer les hommes »

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WomenToday

Bonjour Carole Delga, vous êtes présidente de la nouvelle région Occitanie depuis 2016, présidente de l’association Régions de France depuis juillet 2021 et plus récemment vous êtes l’auteure d’une biographie de Jean Jaurès « Les convictions et le courage » (éd. Privat). Jean Jaurès est-il une source d’inspiration, d’apaisement dans un contexte aussi perturbé ?

Carole Delga

Je pense en effet que nous avons besoin d’apaisement et que nous devons de la clarté à nos concitoyens. Les derniers scrutins électoraux m’ont inquiétée quant à l’état de notre vie démocratique. Je crois que nous devons lutter contre l’overdose sondagière, la spectacularisation à outrance, les opportunismes et les trahisons qui abiment la confiance. A cet égard, Jaurès, enfant d’Occitanie et figure universelle de la République, doit continuer de nous inspirer par sa droiture et son sens de l’éthique. 

Et puis, lui parlait aux grands de ce monde comme à l’ouvrier ou au paysan. Je crois beaucoup dans cette connexion nécessaire entre le terrain et les idées. Ses convictions, son courage son humanisme sont des valeurs qui méritent d’être mises en avant dans ce monde qui fait la part belle à l’immédiateté et au paraître. Quand vous lisez ce qu’il a dit de la République, de l’Etat, de la laïcité, de l’éducation, du travail, il y a des mots qui résonnent encore aujourd’hui et qui doivent nourrir nos combats.

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Comment êtes-vous entrée en politique ? Atavisme familial et / ou parcours personnel ? Quelle fut votre première et dernière expérience d’inégalité ?

Carole Delga

A la maison, on ne parlait pas de politique. J’entends encore ma grand-mère me dire que nous n’en avions pas les moyens. La politique, c’était pour les autres ! On est donc très loin de l’atavisme familial…  Je me prédestinais plutôt à une carrière dans les sciences économiques, mais j’ai très vite développé l’envie de me mettre au service des autres. C’est pour cela que j’ai rapidement choisi la fonction publique. Et en 2008, à l’approche des élections municipales, plusieurs membres de l’équipe sortante sont venus me solliciter pour conduire la liste. Ce n’était clairement pas prémédité mais j’ai très vite fait le choix de me mettre au service de ce collectif. Cette première expérience a forgé la femme politique que je suis aujourd’hui, avec l’envie de changer la vie des gens. Depuis, ce goût des autres, du service public et de la République ne m’a jamais quitté. Des expériences d’inégalité oui, j’en ai connues. Ce n’était peut-être pas la première fois que j’étais confrontée au sexisme en politique, mais cela m’a marqué, c’était durant la campagne des élections régionales en 2015. J’étais une femme, jeune, j’ai eu droit à beaucoup d’attaques. Mais j’ai appris à m’imposer, j’avais la niaque, mes convictions me portaient et aujourd’hui je suis plus forte.

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J’ai souvent tendance à dire que les hommes doivent faire partie de la solution et non du problème.  Et récemment vous avez indiqué « La lutte pour l’égalité doit aussi associer les hommes ». Comment associer les hommes ?

Carole Delga

Bien sûr, c’est un combat collectif et la solution ne peut être que partagée. Je salue le courage et l’engagement des femmes qui luttent au quotidien pour leurs droits, pour une meilleure reconnaissance, pour l’égalité réelle. Et la libération de la parole est une avancée majeure qu’il faut saluer et encourager. Pour autant, je reste persuadée que les hommes comme les femmes peuvent être acteurs du changement. Les pays du nord de l’Europe sont d’ailleurs inspirants sur ce sujet, avec par exemple des politiques publiques sur la parentalité qui impliquent beaucoup les pères. Nos actions doivent être pensées pour répondre à la fois aux besoins des femmes et des hommes selon un principe d’accessibilité universelle. C’est cet impératif d’universalisme et de lutte contre les déterminismes quels qu’ils soient qui guide mon engagement.

Quant aux réunions non-mixtes, je pense qu’il faut avant tout se mettre à la place des femmes. Je rappelle que nombre d’entre elles sont victimes de violences. Si elles ressentent le besoin de se retrouver et d’échanger, il faut savoir le respecter. Mais cela ne doit évidemment pas empêcher le dialogue avec les hommes, ce sont deux sujets différents.

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L’Occitanie est-elle un exemple en matière d’empowerment des femmes car, je vous cite, « La mixité est une réalité dans notre collectivité. Nous sommes même allés au-delà des prescriptions de la loi. »

Carole Delga

Au-delà de la mixité, notre Région mène des actions sur tous les fronts pour lutter pour l’égalité réelle Femme/Homme et contre les violences faites aux femmes. Nous avons par exemple lancé le dispositif « Génération égalité » à destination des lycéens et lycéennes afin de les sensibiliser aux enjeux qui entourent notamment les violences sexuelles et sexistes et la mixité des métiers. Plus de 130 000 élèves ont déjà pu en bénéficier. Depuis 2017, nous lançons chaque année un appel à projets Egalité Femmes-Hommes qui a permis de mener des projets concrets, notamment en faveur de l’entreprenariat féminin. Parallèlement, au sein de la Région nous veillons à montrer l’exemple. Nous mobilisons nos agents à travers des actions de sensibilisation et les formons également à l’égalité professionnelle et à la lutte contre les violences sexistes. Je me réjouis d’ailleurs qu’au sein de notre Région, le taux de féminisation soit de 58%, avec plus de 45% de femmes à des postes de direction. 

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Vous dites qu’une femme doit, toujours et encore, doublement faire ses preuves dans sa vie professionnelle. Du plafond de verre à la falaise de verre. Un nouveau défi féminin afin de, peut-être, pouvoir s’imposer ?

Carole Delga

l’émancipation et la reconnaissance des femmes dans le milieu professionnel encore plus compliqué. Les compétences étant sans cesse remises en cause. Ce constat s’applique aussi en politique. Au moment de faire un discours j’ai l’habitude de dire que lorsqu’on est une femme, les premières minutes ne comptent pas. D’abord vous êtes observée, scrutée, ensuite seulement on commence à vous écouter. C’est symptomatique du manque de crédibilité qu’on nous accorde. Je construis donc mes discours en fonction de cette réalité-là, en privilégiant le raisonnement au début pour fixer l’attention, et la puissance des mots à la fin. Et c’est la même chose en entreprise. Je me rappelle de femmes PDG du CAC 40 qui ont subi des traitements très injustes. Sans parler des écarts de salaire en entreprise qui persistent encore aujourd’hui. Il faut donc être doublement combattante. C’est comme ça qu’on s’impose en tant que femme, et c’est comme ça que je me suis imposée face à certains hommes qui ne voulaient clairement pas de moi. Aujourd’hui, il est grand temps que ce plafond tombe. Que les nouvelles générations de femmes n’aient plus à se poser ces questions et puissent évoluer dans une société qui accompagne le changement plutôt que de l’étouffer. Ce combat, j’y crois et je continuerai de le mener chaque jour.

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Laure Adler disait récemment à propos de l’égalité hommes-femmes « Non seulement on n’avance pas mais on recule. Plus grave encore, la situation des femmes défavorisées en France, qui sont en situation de monoparentalité, n’a jamais été aussi exposée et inégalitaire. » Partagez-vous ce même sentiment ?

Carole Delga

Heureusement, il y a eu des avancées sociales majeures et nous devons nous en féliciter. Mais en effet les inégalités se creusent, et c’est la première fois depuis 10 ans que l’on constate ce recul. C’est alarmant. Certaines études estiment que la crise sanitaire aurait décalé d’une génération l’atteinte de l’égalité réelle (source : Organisation des Nations Unies, avis du CESE). C’est considérable quand on sait le chemin qu’il reste à parcourir. Dans ce contexte, les mamans seules sont en première ligne face aux difficultés, souvent plus exposées à la précarité et elles doivent se battre au quotidien. C’est aussi pour cela que nous venons de déployer une aide à la garde d’enfants pour accompagner les femmes notamment dans la reprise d’un emploi ou d’une formation. Cela me rappelle les mots justes de Simone de Beauvoir qui déclarait : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

WomenToday

Vous aviez lancé un appel aux femmes en disant « Engagez-vous, croyez en vos rêves ». Ainsi donc vous rejoignez Elisabeth Borne qui lors de sa nomination déclarait “Je dédie cette nomination à toutes les petites filles ayant à cœur de devenir des rôles modèles pour les générations futures. » ?

Carole Delga

J’ai aujourd’hui le sentiment que l’on aborde beaucoup la condition féminine sous l’angle défensif. La lutte contre toutes les formes d’inégalités, notamment salariale, contre les violences directes ou indirectes faites aux femmes, sont des combats indispensables, que nous devons mener sans relâche. Mais je pense qu’il faut en même temps mener des actions qui puissent donner la force et l’envie à cette nouvelle génération de jeunes femmes de prendre le pouvoir, de s’émanciper. Quand je vais dans des lycées, quand je rencontre des étudiantes, je me demande s’il n’y a pas un phénomène d’autocensure un peu plus fort depuis quelques années chez les jeunes femmes. Je suis parfois étonnée par le sentiment de résignation que j’observe. En tant que femme, et en tant que présidente de Région, j’aimerais leur donner de la niaque, de l’énergie, de la fantaisie, à ces jeunes filles. Il faut qu’elles s’autorisent à tout rêver et à tout réaliser.

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Récemment Julia Mouzon confiait à Women Today que 74% des femmes élues ont été confrontées à des remarques ou à des comportements sexistes. Non seulement ces comportements sont inacceptables mais ont-ils aussi pour effet d’éloigner les femmes des responsabilités d’élues ?

Carole Delga

Comme je l’ai dit plus haut, réussir à s’imposer en politique est d’autant plus rude pour les femmes, elles sont davantage exposées aux critiques et remises en cause en permanence. Cette culture de la défiance envers les femmes a pu et peut encore en décourager beaucoup d’entrer en politique. Une femme en politique elle est soit autoritaire soit faible. Moi j’ai choisi d’être autoritaire. Mais cela demande de l’énergie, du courage, et de la ténacité pour évoluer dans ce monde masculin. Heureusement, il y a aussi de la solidarité entre femmes politiques. C’est pourquoi je dis à toutes celles qui souhaitent franchir le pas de foncer. Rien n’est figé. Continuons de faire bouger les lignes et changer les mentalités.

WomenToday

Merci Carole Delga pour cet entretien. En guise de conclusion pouvez-vous nous indiquer votre coup de cœur du moment en matière artistique ?

Carole Delga

Je vais saisir l’occasion pour vous parler de l’exposition Cabu, que nous accueillons actuellement à l’Hôtel de Région de Toulouse et sur le parvis de l’Hôtel de Région de Montpellier. J’invite tout le monde à aller la découvrir pour se replonger dans l’œuvre de l’un des plus talentueux dessinateurs de sa génération. Elle vous fera rire et réfléchir car les combats qu’il menait avec son stylo sont plus que jamais d’actualité. Et la lutte pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes en fait partie. Et puis son œuvre ne peut que faire du bien à l’esprit, même aux plus chagrins !

Propos recueillis par Michael John Dolan

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Crédit Photo Philippe Grollier

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