Être une femme et exercer du pouvoir, peu importe le niveau hiérarchique, l’ampleur de l’organisation, cela relève bien souvent, du parcours de la combattante. Pourquoi ?
Historiquement, le pouvoir a été dominé majoritairement par les hommes. La sphère publique fut longtemps réservée aux hommes ; tandis que la sphère privée, domestique a été l’apanage des femmes. D’ailleurs, l’entrée des femmes sur le marché du travail s’est faite tardivement, dans les années 70. Après avoir intégré le marché du travail, elles ont pu gravir les échelons pour atteindre les sphères du pouvoir, tant politique que dans le monde du business.
Mais l’atteinte des sommets stratégiques ne s’avère pas égalitaire. À titre d’exemple, dans les administrations publiques, 37 % de femmes occupent des postes de direction, en 2018. Elles constituent 41,3 % des postes de cadres, dans le secteur privé, en 2019. Grâce à la loi Copé-Zimmermann, leur place dans les conseils d’administration a largement progressé, atteignant 45,2 % en 2019. Cependant, les inégalités persistent et demeurent flagrantes entre les sexes. Les femmes gagnent en moyenne 20 % de moins que les hommes et seulement 4 % sont PDG ou Présidents de conseil d’administration. Dans les comités exécutifs des entreprises du CAC40, elles constituent 18,2 % des postes de direction. En 2022, seulement trois femmes seront à la tête d’une entreprise du CAC 40. Christel Heydemann chez Orange, Catherine MacGregor, patronne d’Engie et le 1er juillet 2022, Estelle Brachlianoff sera à la tête de Véolia.
Pour illustrer les difficultés rencontrées par les femmes lors de l’accès au pouvoir, deux journalistes du Wall Street Journal en 1986 ont évoqué la métaphore du « plafond de verre ». Il s’agit d’une barrière invisible qui empêche les femmes d’accéder aux sommets des organisations. Cependant, 36 ans après, le plafond de verre a été craqué par de nombreuses femmes. D’ailleurs, Alice Eagly dans un ouvrage publié en 2007 indique que le plafond de verre a laissé place au labyrinthe, nouvelle métaphore, suggérant que l’accès au sommet est possible, mais que le chemin sera difficile et complexe. Les femmes sont confrontées à « une seconde génération de barrière ». Alors que la première génération était franche et ostensible, en affichant ouvertement la non-présence des femmes. Aujourd’hui, l’accès au pouvoir est possible, mais restreint par la seconde génération de biais liés au genre. La particularité de cette seconde génération de biais est qu’ils sont subtils, insidieux. D’ailleurs, si l’on n’y prend pas garde, ils sont même invisibles !
Ainsi, le phénomène de la falaise de verre relève de cette seconde génération d’obstacles subtiles. Deux chercheurs de l’Université d’Exeter, Michelle Ryan et Alexander Haslam en 2005, ont montré à partir d’un échantillon de 100 entreprises cotées à la Bourse de Londres (FTSE) que lors des situations de crise au sein d’une entreprise, les femmes étaient nommées à leur tête. Et non pas l’inverse : ce ne sont pas les femmes qui conduisent à la crise mais bien elles que l’on place quand c’est déjà trop tard. La falaise de verre, aphorisme emprunté au plafond de verre constitue, aussi une autre forme de discrimination, insidieuse et subtile, plaçant les femmes dirigeantes dans une situation de leadership précaire ou sur des postes fusibles. Ainsi leur échec en tant que leader est quasiment inévitable, puisque le contexte économique dans lequel elles sont nommées est en crise, ce qui les conduit inexorablement à être stigmatisées en cas d’échec. Les travaux de Clara Kulich suggèrent que placer les femmes à la tête d’une entreprise en crise est observé comme un symbole de changement, voire même de bouc émissaire pour expliquer un échec, dans certains cas. Ainsi leur échec renforce alors les stéréotypes sur la présupposée incompétence des femmes au leadership, ce qui conduit à les discréditer sur des postes stratégiques.
Comme nous l’avons souligné, exercer du pouvoir, lorsque l’on est une femme est complexe. Le pouvoir est associé implicitement aux hommes et aux stéréotypes masculins de pouvoir et de domination. Dès lors, être une femme et exercer du leadership renvoie à une injonction contradictoire entre les attentes de leadership – associées aux stéréotypes masculins – et les attentes stéréotypées apposées aux femmes – douceur, bienveillance et empathie. Cette dissonance cognitive entre ces deux injonctions contradictoires, produit alors une incongruence lorsqu’une femme exerce du pouvoir.
Pour permettre à toutes d’exercer pleinement du leadership et de voir leur leadership reconnu sans biais de perception, il semble indispensable de former les hommes ET les femmes aux stéréotypes et aux biais de perception qui agissent subtilement à notre insu. En effet, ils s’activent comme des filtres invisibles qui déforment notre façon d’apprécier le monde et la réalité qui nous environne. D’ailleurs, une étude du Forum économique mondiale de 2019 suggère que si nous ne changeons pas sur ces obstacles invisibles, nous parviendrons à l’égalité dans 202 ans !
Sarah Saint-Michel, Enseignante-Chercheure, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
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