Désir et plaisir féminins : un territoire à occuper

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La littérature médiatique abordant la sexualité féminine, en ce moment, nous parle essentiellement du harcèlement, des abus, abus de pouvoir et abus physiques, du patriarcat prédateur, des viols, de l’inceste.

Et avec justesse, les femmes victimes de tels abus expliquent les délais souvent bien trop importants dans lesquels elles déposent plainte : « Quand nous sommes enfin prêtes (car oui, cela prend du temps), la justice ne l’est plus. » De plus en plus de mesures réparatrices et préventives des récidives sont néanmoins mises en place, tant pour ces femmes que pour les hommes violents. Mais nous manquons encore de mesures de prévention primaire, les plus importantes et les plus difficiles, puisqu’elles supposent des changements de paradigmes. Parmi ces changements de paradigme, je propose ici l’abolition du stéréotype « homme prédateur, femme victime ». Lorsque je demande à un public mélangé de 100 personnes adultes de me dire la première image qui leur vient à l’esprit quand je leur dis « violence sexuelle » : 99 d’entre eux voient un homme qui agresse une femme. C’est normal : c’est statistiquement établi. Par voie de conséquence, cette réalité devenue stéréotype fait partie de notre éducation, notamment de celle des petites filles, depuis leur plus tendre enfance. Dès cette plus tendre enfance : « Fais attention. Ne regarde pas, ne touche pas, ne montre pas. » « Fais attention », encore, lors des premières sorties. Fais attention : l’homme peut te blesser. Sans même nous en rendre compte, nous mettons constamment les hommes dans la case prédateurs et les femmes dans la case victime.

Je voudrais changer cela. Il ne s’agit nullement d’inverser le couple victime-prédateur, mais bel et bien de l’abolir. Je voudrais que nous disions à nos filles (j’en ai quatre) : « Réjouis toi ! Réjouis toi, tu vas rencontrer l’autre, le désir, le plaisir. Prends du plaisir, le tien, celui qui te fait vraiment plaisir. » Et puis – en passant – voici des préservatifs pour si jamais cet autre est un homme.

Le 9 janvier 2018, dans la même page du Monde où fut publiée la Tribune des 100, Belinda Cannone écrivait sa propre tribune : « Le jour où les femmes se sentiront autorisées à exprimer leur désir, elles ne seront plus des proies ». Je suis intimement persuadée de la véracité de cette assertion de Belinda Cannone, grande prêtresse d’un féminisme désirant[1]. Elle poursuit : « Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l’érotisme, égalité qui passe par la prise d’initiative et de risque, et non par d’improbables “contrats“ très éloignés de ce qui se joue dans le désir. Chacun, tous genres confondus, étant tour à tour l’invitant ou le destinataire de la proposition, à jeu partagé, les hommes ne seraient plus perpétuellement en situation de chasseurs. »

Pour que cela advienne, il faudrait apprendre aux petites filles à dire oui – pour qu’elles puissent mieux dire non. Aujourd’hui on leur apprend à dire non, certes, mais les résultats sont là : l’efficacité de leur « non » n’est pas suffisante. Et si on apprenait aux filles à dire oui d’abord ? Oui à leur corps, oui à leur sexe, oui à leur plaisir, oui quand elles veulent et comme elles veulent ? Ne serait-ce pas une possibilité à explorer, assumant que si elles apprennent à dire oui à leur désir, à leur plaisir, elles sauront d’autant mieux affirmer et défendre leur « non » à ce qui ne leur plaît pas ?

Belinda Cannone encore : « Ce n’est pas en condamnant l’expression du désir, mais en assumant pleinement de la partager que les femmes verront leur condition s’améliorer. » Car dans une certaine mesure, les règles de consentement renvoient encore les femmes à une position passive. Affirmer nos désirs et plaisirs de femmes, les vivre et les dire aussi, les partager avec nos filles pour qu’elles puissent affirmer les leurs, conquérir le territoire du sexe et l’occuper, plutôt que de tenter de le policer : une voie peut-être plus prometteuse vers la plénitude et vers un avenir possible d’alliance amoureuse. Qui donc a peur du Point G[2] ? Le livre d’Odile Buisson, réquisitoire contre ce qu’elle appelle « une excision intellectuelle qui pénalise les femmes », est aussi un plaidoyer jubilatoire en faveur de l’épanouissement sexuel – de notre épanouissement érotique.

Concrètement, je souhaiterais que nous apprenions aux filles qu’elles sont fortes, que nous les informions de la puissance de leur corps, barrant d’emblée la route à toute imagerie victimaire. La victimisation est une impasse. Je souhaiterais que nous leur disions que la plus belle chose qui va leur arriver, à l’orée de l’adolescence, c’est la rencontre de l’autre, et que nous les préparions à la joie de la perspective de tous les jeux possibles avec cet autre. Je propose l’érotisme assumé comme contre-offre à la culture de la mise à distance. « Le désir est une glorification de l’altérité » dit encore avec finesse Belinda Cannone. Starhawk[3], écoféministe, néosorcière et auteure, propose elle aussi de restaurer l’érotisme comme pouvoir-du-dedans, c’est-à-dire comme accès au pouvoir, comme puissance : « Notre connaissance érotique nous donne accès au pouvoir, elle devient une lentille à travers laquelle nous scrutons tous les aspects de notre existence.[4]» Valérie Daoust[5], elle, va jusqu’à revendiquer cet interdit : « Ce que vous avez de beau, montrez-le ! » Et de poursuivre : « Ce que le féminisme nous a apporté de plus beau, c’est la vision transmise à nos filles d’une sexualité qui est une communication réciproque et peut se vivre en dehors du mariage et de la prostitution. » Mieux dit : en dehors de tout rapport de pouvoir. Ce qui ne signifie nullement que dans le territoire occupé de la relation sexuelle, dans ce cercle magique et utopique, des jeux de pouvoir, voire des jeux violents, ne puissent s’inviter.

Finalement, le plus important peut-être dans ce refus de la position de victime désignée se cache dans la psychologie même des prédateurs : le prédateur « désigné », que ce soit par la société ou par lui même, préfère forcément les victimes potentielles. Il se trouve désarmé en revanche face aux conquérantes.

Réjouis-toi donc ! Tu vas découvrir tous les plaisirs que ton corps peut t’offrir et les vivre pleinement sans te laisser ni intimider ni culpabiliser. Occuper ce territoire du désir et du plaisir est aussi fondamental à la vraie égalité que nous appelons de nos vœux que le droit de vote. Egalité et joie ![6]

Barbara Polla est médecin, galeriste et écrivain. Elle a quatre filles. Elle aime les femmes, les hommes et les autres, l’art et la poésie et la vie. En politique, en art, pour les femmes, elle s’engage pour la liberté.

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Illustration : Eleanor # 6, © Dana Hoey, 2020.


[1] Belinda Cannone, Petit éloge du désir, Folio, 20

[2] Odile Buisson, avec Pierre Foldès, Qui a peur du Point G : Le plaisir féminin, une angoisse masculine, Jean-Claude Gawsewitch, 2011.

[3] Starhawk, Rêver l’Obscur : Femmes, magie et politique, Cambourakis, 2015

[4]Sarhawk, Dreaming the Dark: Magic, Sex and Politics, 1982 ; Rêver l’obscur. Femmes, Magie et Politique, Cambourakis 2015, avec une préface de la philosophe  Émilie Hache

[5] Valérie Daoust, De la sexualité en démocratie : L’individu libre et ses espaces identitaires, PUF, 2005.

[6] https://medfeminiswiya.net/2021/06/28/pour-un-feminisme-de-joie-qui-celebre-nos-libertes/?unapproved=208&moderation-hash=e56fe369302503cdca2bca54523f8841#comment-208

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